- Capitaine ?
- Oui.
- L’arbre a poussé, vous ne trouvez pas ?
- Vous m’avez déjà dit cela hier
- Oui, mais j’ai l’impression qu’il a poussé, depuis hier
- Certainement, il ne fait que cela de pousser, la nuit, le jour, le
soir, le matin, sous le soleil, sous les nuages, c’est sa destinée de pousser,
il ne sait et peut faire que ça mais cet imperceptible d’un jour à l’autre
- Ah, c’est dommage
- Pourquoi ?
- Parce que je le regarde pousser et ce serait agréable pour moi de le
voir pousser.
- Mais vous m’avez dit qu’il avait poussé depuis hier.
- Non, c’était seulement mon impression
- Eh bien c’est pareil, quelle importance, que vous l’ayez vu ou que
vous ayez eu l’impression de le voir pousser puisqu’il a poussé et que vous
avez envie qu’il ait poussé ?
- C’est que ce n’est pas juste
- Qu’est ce qui n’est pas juste ?
- Si je pense qu’il a poussé, et que justement ce jour-là il a décidé
de ne pas pousser, je croirais alors une chose fausse, simplement parce d’habitude
cela se passe ainsi, ou pire, parce que je crois que cela se passe ainsi, ou
pire encore, parce que cela m’arrange de le croire.
- Oh, vous savez matelot, ce n’est pas seulement ainsi que pour les
arbres qui poussent.
- Ah ?
- Oui partout, tout le temps, on croit certaines choses parce qu’elles
nous ont été enseignés ainsi et que personne ne les a vérifiées. Figurez-vous,
que longtemps les hommes ont cru que la terre était plate !
- Même les marins ?
- Même les marins.
- Parce qu’ils avaient envie de le croire ?
- Parce qu’ils avaient envie de le croire.
- C’est étrange.
- Oui
- Oui
- Et pour cette île, qui pense qu’elle existe ?
- Personne sans doute, puisqu’elle n’était pas sur la carte.
- Ainsi personne ne pourra nous retrouver.
- Probablement.
- C’est injuste !
- C’est ainsi.