BIENVENUE SUR MON BLOG

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samedi 29 décembre 2012

UNE IMAGE DE 2012


J’avais dit que je n’écrirais plus de billet politique, sauf à le faire en racontant une histoire (voir sur ce blog Le Noël du souvenir et Justes noces).

Mais, comme en grammaire, une règle peut avoir une exception. Qui plus est, le sujet est plus sociétal que politique.

Parmi les images de 2012, en voici une qui m’a interpellé.

Photo : nouvelobs.com

Tandis que des manifestants revendiquaient leur hostilité au mariage pour tous, des militantes féministes du FEMEN sont intervenues en contre-manifestation déguisées en nones puis seins nus. Elles ont très vites été prisent à parti par les manifestants qui les ont violemment agressés.

L’argument des manifestants était qu’une famille était composée d’un homme, d’une femme et d’enfants et que par conséquent le mariage entre personnes de même sexe était une hérésie.

Non seulement, l’argument contre le mariage est un argument contre l’adoption et la PMA –et donc ne tient pas-, mais encore, il tire un trait sur deux millions de familles monoparentales en France.

Le plus grave, et à mon sens le plus choquant, est que ces manifestants qui prétendent défendre la morale de l’institution du mariage, trouvent parfaitement normal en revanche de tabasser des manifestantes féministes (et au passage au moins une journaliste).

Ils font pareil avec leur femme si elle émet un avis différent du leur ?

Quelques semaines plus tard, lors d’une autre manifestation, favorable cette fois au mariage et à l’adoption pour tous, un manifestant portait une pancarte sur laquelle on pouvait lire « Nous aussi on veut pouvoir congeler nos bébés ». Sous cette provocation sous forme d’humour noir, il faut comprendre : Ferions-nous nécessairement de mauvais parents parce que nous sommes homosexuels ?

Et c’est une excellente question dont la photo ci-dessus donne un intéressant élément de réponse.

mercredi 26 décembre 2012

LE LIVRE NUMERIQUE

En faisant quelque emplette tardive  à l’occasion de la fête de la Nativité (au risque de choquer les plus jeunes de mes lecteurs, rappelons que Noël est une fête religieuse, le bonhomme en rouge que par mensonge de leurs parents les enfants croient pour vrai n’est qu’une invention mercantile d’une grande marque de cola) j’errais dans les allées d’un grand magasin dont le nom évoque un sigle de Fédération Nationale d’Anciens Combattants et qui se dit agitateur de curiosités.


Dans mon errance, je stationnais quelques instants devant le rayon des livres numériques, communément nommés « e-books » mais c’est plus fort que moi, lorsqu’un mot français existe je le privilégie volontiers à l’anglicisme, exception faite toutefois pour le terme de « ghost-writter » que je préfère au mot français de « nègre ».

Aussitôt une démonstratrice s’est jetée (commercialement parlant) sur moi afin de me vanter tous les mérites de cette nouvelle prouesse 2.0.

Certes, Madame, le support est plus léger qu’un livre, plus aisé à transporter, les classiques sont téléchargeables gratuitement, les livres récent sont 10 à  50% moins cher que leurs équivalents papiers (tarifs que je confirme volontiers si j’en crois les propositions d’éditions qui m’ont été faites), et encore je suis épargné de l’argument écologique.

Mais je ne suis pas prêt.

J’aime tenir un livre entre les mains.

J’aime le choisir en le feuilletant, en choisissant un passage au hasard, puis un autre.

J’aime lire la quatrième de couverture

J’aime le poids d’un livre

J’aime l’odeur d’un vieux livre

J’aime regarder le nombre de pages, de chapitres, savoir où se trouve la moitié (je suis comptable)

J’aime voir le marque-page évoluer chaque soir quand je referme un livre pour aller me coucher

J’aime ce moment de flottement lorsque je referme un livre pour la dernière fois, quand je savoure la fin de l’histoire, c’est un peu comme si je disais au revoir aux personnages, à l’époque, au lieu. On dit que le silence après une œuvre de Mozart est encore du Mozart. Le moment où j’ai fini de lire un livre et que je m’en imprègne reste l’empreinte de l’auteur.

J’aime l’idée que le livre a une vie. On le prête à Paul parce qu’on lui en a parlé et qu’il a eu envie de le lire. On le donne à Pierre parce qu’on a pensé qu’il lui plairait de le lire.

Alors, je ne suis pas encore prêt à télécharger les livres. J’y viendrais peut-être (sans doute, certainement) un jour, mais j’ai besoin d’encore un peu de temps avant d’abandonner les pages.





4e de couverture, Vincent Delerm

mardi 25 décembre 2012

LES NEIGES DU KIILIMANDJARO


A défaut d’avoir pu voir ce film de Robert Guédiguian (Marius et Jeannette, Le promeneur du Champ de Mars) lors de sa sortie en salle, l’occasion m’a été donné de le visionner en DVD il y a quelques jours.

C’est à nouveau dans les quartiers de Marseille, en particulier celui de l’Estaque que nous conduit le réalisateur.

Michel (Jean-Pierre Daroussin), marié à Marie-Claire (Ariane Ascaride), délégué syndical, est licencié par tirage au sort. Quelques semaines plus tard, le couple est agressé pour un butin d’une poignée d’économie. Rapidement, Michel découvre que le vol a été commis par un ancien collègue licencié le même jour que lui.

C’est un poème de Victor Hugo, « Les pauvres gens », qui inspira ce film. Plutôt qu’un long article, je préfère vous inviter à la lecture de ce poème.



I
Il est nuit. La cabane est pauvre, mais bien close.
Le logis est plein d'ombre et l'on sent quelque chose
Qui rayonne à travers ce crépuscule obscur.
Des filets de pêcheur sont accrochés au mur.
Au fond, dans l'encoignure où quelque humble vaisselle
Aux planches d'un bahut vaguement étincelle,
On distingue un grand lit aux longs rideaux tombants.
Tout près, un matelas s'étend sur de vieux bancs,
Et cinq petits-enfants, nid d'âmes, y sommeillent
La haute cheminée où quelques flammes veillent
Rougit le plafond sombre, et, le front sur le lit,
Une femme à genoux prie, et songe, et pâlit.
C'est la mère. Elle est seule. Et dehors, blanc d'écume,
Au ciel, aux vents, aux rocs, à la nuit, à la brume,
Le sinistre océan jette son noir sanglot.

II
L'homme est en mer. Depuis l'enfance matelot,
Il livre au hasard sombre une rude bataille.
Pluie ou bourrasque, il faut qu'il sorte, il faut qu'il aille,
Car les petits enfants ont faim. Il part le soir
Quand l'eau profonde monte aux marches du musoir.
Il gouverne à lui seul sa barque à quatre voiles.
La femme est au logis, cousant les vieilles toiles,
Remmaillant les filets, préparant l'hameçon,
Surveillant l'âtre où bout la soupe de poisson,
Puis priant Dieu sitôt que les cinq enfants dorment.
Lui, seul, battu des flots qui toujours se reforment,
Il s'en va dans l'abîme et s'en va dans la nuit.
Dur labeur ! Tout est noir, tout est froid ; rien ne luit.
Dans les brisants, parmi les lames en démence,
L'endroit bon à la pêche, et, sur la mer immense,
Le lieu mobile, obscur, capricieux, changeant,
Où se plaît le poisson aux nageoires d'argent,
Ce n'est qu'un point ; c'est grand deux fois comme la chambre.
Or, la nuit, dans l'ondée et la brume, en décembre,
Pour rencontrer ce point sur le désert mouvant,
Comme il faut calculer la marée et le vent !
Comme il faut combiner sûrement les manœuvres !
Les flots le long du bord glissent, vertes couleuvres ;
Le gouffre roule et tord ses plis démesurés,
Et fait râler d'horreur les agrès effarés.
Lui, songe à sa Jeannie au sein des mers glacées,
Et Jeannie en pleurant l'appelle ; et leurs pensées
Se croisent dans la nuit, divins oiseaux du cœur.

III
Elle prie, et la mauve au cri rauque et moqueur
L'importune, et, parmi les écueils en décombres,
L'océan l'épouvante, et toutes sortes d'ombres
Passent dans son esprit : la mer, les matelots
Emportés à travers la colère des flots ;
Et dans sa gaine, ainsi que le sang dans l'artère,
La froide horloge bat, jetant dans le mystère,
Goutte à goutte, le temps, saisons, printemps, hivers ;
Et chaque battement, dans l'énorme univers,
Ouvre aux âmes, essaims d'autours et de colombes,
D'un côté les berceaux et de l'autre les tombes.
Elle songe, elle rêve. - Et tant de pauvreté !
Ses petits vont pieds nus l'hiver comme l'été.
Pas de pain de froment. On mange du pain d'orge.
- Ô Dieu ! Le vent rugit comme un soufflet de forge,
La côte fait le bruit d'une enclume, on croit voir
Les constellations fuir dans l'ouragan noir
Comme les tourbillons d'étincelles de l'âtre.
C'est l'heure où, gai danseur, minuit rit et folâtre
Sous le loup de satin qu'illuminent ses yeux,
Et c'est l'heure où minuit, brigand mystérieux,
Voilé d'ombre et de pluie et le front dans la bise,
Prend un pauvre marin frissonnant, et le brise
Aux rochers monstrueux apparus brusquement.
Horreur ! L’homme, dont l'onde éteint le hurlement,
Sent fondre et s'enfoncer le bâtiment qui plonge ;
Il sent s'ouvrir sous lui l'ombre et l'abîme, et songe
Au vieil anneau de fer du quai plein de soleil !
Ces mornes visions troublent son cœur, pareil
A la nuit. Elle tremble et pleure.

IV
Ô pauvres femmes
De pêcheurs ! C’est affreux de se dire : - Mes âmes,
Père, amant, frère, fils, tout ce que j'ai de cher,
C'est là, dans ce chaos ! Mon cœur, mon sang, ma chair ! -
Ciel ! Être en proie aux flots, c'est être en proie aux bêtes.
Oh ! Songer que l'eau joue avec toutes ces têtes,
Depuis le mousse enfant jusqu'au mari patron,
Et que le vent hagard, soufflant dans son clairon,
Dénoue au-dessus d'eux sa longue et folle tresse,
Et que peut-être ils sont à cette heure en détresse,
Et qu'on ne sait jamais au juste ce qu'ils font,
Et que, pour tenir tête à cette mer sans fond,
A tous ces gouffres d'ombre où ne luit nulle étoile,
Es n'ont qu'un bout de planche avec un bout de toile !
Souci lugubre ! On court à travers les galets,
Le flot monte, on lui parle, on crie : Oh ! Rends-nous-les !
Mais, hélas ! Que veut-on que dise à la pensée
Toujours sombre, la mer toujours bouleversée !
Jeannie est bien plus triste encor. Son homme est seul !
Seul dans cette âpre nuit ! Seul sous ce noir linceul !
Pas d'aide. Ses enfants sont trop petits. - Ô mère !
Tu dis : "S'ils étaient grands ! - leur père est seul !" Chimère !
Plus tard, quand ils seront près du père et partis,
Tu diras en pleurant : "Oh! S’ils étaient petits !"

V
Elle prend sa lanterne et sa cape. - C'est l'heure
D'aller voir s'il revient, si la mer est meilleure,
S'il fait jour, si la flamme est au mât du signal.
Allons ! - Et la voilà qui part. L'air matinal
Ne souffle pas encor. Rien. Pas de ligne blanche
Dans l'espace où le flot des ténèbres s'épanche.
Il pleut. Rien n'est plus noir que la pluie au matin ;
On dirait que le jour tremble et doute, incertain,
Et qu'ainsi que l'enfant, l'aube pleure de naître.
Elle va. L'on ne voit luire aucune fenêtre.
Tout à coup, à ses yeux qui cherchent le chemin,
Avec je ne sais quoi de lugubre et d'humain
Une sombre masure apparaît, décrépite ;
Ni lumière, ni feu ; la porte au vent palpite ;
Sur les murs vermoulus branle un toit hasardeux ;
La bise sur ce toit tord des chaumes hideux,
Jaunes, sales, pareils aux grosses eaux d'un fleuve.
"Tiens ! Je ne pensais plus à cette pauvre veuve,
Dit-elle ; mon mari, l'autre jour, la trouva
Malade et seule ; il faut voit comment elle va."
Elle frappe à la porte, elle écoute ; personne
Ne répond. Et Jeannie au vent de mer frissonne.
"Malade ! Et ses enfants ! Comme c'est mal nourri !
Elle n'en a que deux, mais elle est sans mari."
Puis, elle frappe encore. "Hé ! Voisine !" Elle appelle.
Et la maison se tait toujours. "Ah ! Dieu ! dit-elle,
Comme elle dort, qu'il faut l'appeler si longtemps!"
La porte, cette fois, comme si, par instants,
Les objets étaient pris d'une pitié suprême,
Morne, tourna dans l'ombre et s'ouvrit d'elle-même.

VI
Elle entra. Sa lanterne éclaira le dedans
Du noir logis muet au bord des flots grondants.
L'eau tombait du plafond comme des trous d'un crible.
Au fond était couchée une forme terrible ;
Une femme immobile et renversée, ayant
Les pieds nus, le regard obscur, l'air effrayant ;
Un cadavre ; - autrefois, mère joyeuse et forte ; -
Le spectre échevelé de la misère morte ;
Ce qui reste du pauvre après un long combat.
Elle laissait, parmi la paille du grabat,
Son bras livide et froid et sa main déjà verte
Pendre, et l'horreur sortait de cette bouche ouverte
D'où l'âme en s'enfuyant, sinistre, avait jeté
Ce grand cri de la mort qu'entend l'éternité !
Près du lit où gisait la mère de famille,
Deux tous petits enfants, le garçon et la fille,
Dans le même berceau souriaient endormis.
La mère, se sentant mourir, leur avait mis
Sa mante sur les pieds et sur le corps sa robe,
Afin que, dans cette ombre où la mort nous dérobe,
Ils ne sentissent pas la tiédeur qui décroît,
Et pour qu'ils eussent chaud pendant qu'elle aurait froid.

VII
Comme ils dorment tous deux dans le berceau qui tremble !
Leur haleine est paisible et leur front calme. Il semble
Que rien n'éveillerait ces orphelins dormant,
Pas même le clairon du dernier jugement ;
Car, étant innocents, ils n'ont pas peur du juge.
Et la pluie au dehors gronde comme un déluge.
Du vieux toit crevassé, d'où la rafale sort,
Une goutte parfois tombe sur ce front mort,
Glisse sur cette joue et devient une larme.
La vague sonne ainsi qu'une cloche d'alarme.
La morte écoute l'ombre avec stupidité.
Car le corps, quand l'esprit radieux l'a quitté,
A l'air de chercher l'âme et de rappeler l'ange ;
Il semble qu'on entend ce dialogue étrange
Entre la bouche pâle et l'œil triste et hagard :
- Qu'as-tu fait de ton souffle ? - Et toi, de ton regard ?
Hélas! Aimez, vivez, cueillez les primevères,
Dansez, riez, brûlez vos cœurs, videz vos verres.
Comme au sombre océan arrive tout ruisseau,
Le sort donne pour but au festin, au berceau,
Aux mères adorant l'enfance épanouie,
Aux baisers de la chair dont l'âme est éblouie,
Aux chansons, au sourire, à l'amour frais et beau,
Le refroidissement lugubre du tombeau !

VIII
Qu'est-ce donc que Jeannie a fait chez cette morte ?
Sous sa cape aux longs plis qu'est-ce donc qu'elle emporte ?
Qu'est-ce donc que Jeannie emporte en s'en allant ?
Pourquoi son cœur batail ? Pourquoi son pas tremblant
Se hâte-t-il ainsi ? D'où vient qu'en la ruelle
Elle court, sans oser regarder derrière elle ?
Qu'est-ce donc qu'elle cache avec un air troublé
Dans l'ombre, sur son lit ? Qu'a-t-elle donc volé ?

IX
Quand elle fut rentrée au logis, la falaise
Blanchissait; près du lit elle prit une chaise
Et s'assit toute pâle ; on eût dit qu'elle avait
Un remords, et son front tomba sur le chevet,
Et, par instants, à mots entrecoupés, sa bouche
Parlait pendant qu'au loin grondait la mer farouche.
"Mon pauvre homme ! Ah ! Mon Dieu ! Que va-t-il dire ? Il a
Déjà tant de souci ! Qu'est-ce que j'ai fait là ?
Cinq enfants sur les bras ! Ce père qui travaille !
Il n'avait pas assez de peine ; il faut que j'aille
Lui donner celle-là de plus. - C'est lui ? - Non. Rien.
- J'ai mal fait. - S'il me bat, je dirai : Tu fais bien.
- Est-ce lui ? - Non. - Tant mieux. - La porte bouge comme
Si l'on entrait. - Mais non. - Voilà-t-il pas, pauvre homme,
Que j'ai peur de le voir rentrer, moi, maintenant !"
Puis elle demeura pensive et frissonnant,
S'enfonçant par degrés dans son angoisse intime,
Perdue en son souci comme dans un abîme,
N'entendant même plus les bruits extérieurs,
Les cormorans qui vont comme de noirs crieurs,
Et l'onde et la marée et le vent en colère.
La porte tout à coup s'ouvrit, bruyante et claire,
Et fit dans la cabane entrer un rayon blanc ;
Et le pêcheur, traînant son filet ruisselant,
Joyeux, parut au seuil, et dit : C'est la marine !

X
"C'est toi !" cria Jeannie, et, contre sa poitrine,
Elle prit son mari comme on prend un amant,
Et lui baisa sa veste avec emportement
Tandis que le marin disait : "Me voici, femme !"
Et montrait sur son front qu'éclairait l'âtre en flamme
Son cœur bon et content que Jeannie éclairait,
"Je suis volé, dit-il ; la mer c'est la forêt.
- Quel temps a-t-il fait ? - Dur. - Et la pêche ? - Mauvaise.
Mais, vois-tu, je t 1 embrasse, et me voilà bien aise.
Je n'ai rien pris du tout. J'ai troué mon filet.
Le diable était caché dans le vent qui soufflait.
Quelle nuit ! Un moment, dans tout ce tintamarre,
J'ai cru que le bateau se couchait, et l'amarre
A cassé. Qu'as-tu fait, toi, pendant ce temps-là ?"
Jeannie eut un frisson dans l'ombre et se troubla.
"Moi ? dit-elle. Ah ! mon Dieu ! Rien, comme à l'ordinaire,
J'ai cousu. J'écoutais la mer comme un tonnerre,
J'avais peur. - Oui, l'hiver est dur, mais c'est égal."
Alors, tremblante ainsi que ceux qui font le mal,
Elle dit : "A propos, notre voisine est morte.
C'est hier qu'elle a dû mourir, enfin, n'importe,
Dans la soirée, après que vous fûtes partis.
Elle laisse ses deux enfants, qui sont petits.
L'un s'appelle Guillaume et l'autre Madeleine ;
L'un qui ne marche pas, l'autre qui parle à peine.
La pauvre bonne femme était dans le besoin."
L'homme prit un air grave, et, jetant dans un coin
Son bonnet de forçat mouillé par la tempête :
"Diable ! diable ! dit-il, en se grattant la tête,
Nous avions cinq enfants, cela va faire sept.
Déjà, dans la saison mauvaise, on se passait
De souper quelquefois. Comment allons-nous faire ?
Bah ! Tant pis ! Ce n'est pas ma faute, C'est l'affaire
Du bon Dieu. Ce sont là des accidents profonds.
Pourquoi donc a-t-il pris leur mère à ces chiffons ?
C'est gros comme le poing. Ces choses-là sont rudes.
Il faut pour les comprendre avoir fait ses études.
Si petits ! On ne peut leur dire : Travaillez.
Femme, va les chercher. S'ils se sont réveillés,
Ils doivent avoir peur tout seuls avec la morte.
C'est la mère, vois-tu, qui frappe à notre porte ;
Ouvrons aux deux enfants. Nous les mêlerons tous,
Cela nous grimpera le soir sur les genoux.
Ils vivront, ils seront frère et sœur des cinq autres.
Quand il verra qu'il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l'eau, je ferai double tâche,
C'est dit. Va les chercher. Mais qu'as-tu ? Ça te fâche ?
D'ordinaire, tu cours plus vite que cela.
- Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà!"

dimanche 16 décembre 2012

CURSA DE NATALE


Lorsqu’une course bat ses records de participations il peut se produire que le départ soit donné avec quelques minutes de retards. Lorsqu’une course s’inscrit pour la première fois dans un cahier des charges officiel (celui du 10 kilomètres), les organisateurs, s’ils n’ont pas prévus des barrières empêchant l’entrée dans la zone de départ par tous les côtés, se trouvent débordés malgré toute leur bonne volonté, pour faire reculer 2000 coureurs jusqu’à la ligne de départ. Nul n’en voudra à tous ces bénévoles qui ont fait ce qu’ils ont pu. L’animateur bien connu dans la région, en revanche, s’est trouvé à la hauteur de sa réputation en lâchant son lot habituel de petites réflexions cinglantes.

Mais, dès le départ donné, nous oublions vite l’animal.

Ce dimanche la Cursa de Natale monégasque nous offrait son habituel visite touristique du rocher. Dès le 2e kilomètre les coureurs rejoignent le palais princier, la cathédrale et le musée océanographique avant de redescendre au port et de parcourir le même tracé que le circuit de Formule 1 ajoutant une incursion au Larvotto (distance officielle oblige) et un retour en longeant le bord de mer.

Le tunnel bien connu des amateurs de vrombissements automobiles marque le passage au dernier kilomètre.

Le fait d’avoir été vieilli la veille par le statut de « grand-oncle » pour la 4e fois, n’a pas empêché de finir cette course dans un temps inattendu sur un 10 kilomètres vallonné (quelques belles côtes, la rampe Major pour monter sur le célèbre Rocher, puis la non moins célèbre montée vers le Casino) avec seulement une minute de plus qu’il y a neuf ans lors de mon unique participation alors que le parcours a été rallongé (pour faire 10 kilomètres), la première course de 2013 qui sera un « 10 kilomètres » sur la Promenade des anglais niçoise s’annonce plutôt bien.

Si j’ai eu le plaisir de bavarder avec certains des amis que je ne vois que sur les courses, j’ai hélas manqué de saluer certains d’entre eux. (Mais Karine sera surement sur la « Prom »).

Je ne fais pas cela souvent, mais je tente un pronostic : moins de 42’ si les effluves festives sont convenablement dissipés ! Réponse le 6 janvier.


le peloton dans la première côte (photo Claude)

lundi 10 décembre 2012

LE NOËL DU SOUVENIR


Il se souvenait de cette époque ancienne et béni où son père mettait du bois dans la cheminée. La bûche faisait quelques étincelles quand on la posait dans l’âtre, puis les flammes enrobaient son contour, grandissaient et consommaient le demi-mètre de hêtre.

La soupe était chaude, faite de légumes et de viandes, on y ajoutait des morceaux de pain coupés dans la miche. Son père, finissait sa soupe en y versant en peu de vin rouge, touillait le breuvage et buvait le tout bruyamment.

Quand il neigeait il sautait de joie parce qu’il pourrait jouer à se bagarrer avec ces projectiles blancs que les gosses façonnaient entre leurs mains.

Il se souvenait de cette époque, plus récente mais encore bénie, où dans le deux pièces de son HLM il laissait une plaque électrique allumé pour se réchauffer les mains. Il coupait les convecteurs électriques le plus souvent possible, c’est-à-dire presque tout le temps de manière à faire des économies.

L’usine venait de fermer, juste après il avait neigé, il s’en souvient, c’était le lendemain, comme si le ciel avait décidé de l’avertir que la suite serait dure, comme s’il ne le savait pas.
Et puis sa femme est partie, avec tout ce qu’elle possédait. Pas grand-chose, un fauteuil défoncé, un peu de vaisselle en pyrex, d’autre en inox, du linge, le chat, et son numéro d’inscription au chômage.

Alors, il n’avait plus assez d’argent pour payer le loyer, il a arrêté de le payer, il a reçu des courriers, puis des hommes sont venus prendre ce que sa femme n’avait pas emmené un jour où il n’était pas là.

Il est reparti sans fermer la porte à clé, de toute façon elle ne fermait plus. Il avait encore un sac à dos à l’époque, depuis on lui a volé avec le linge sale qu’il contenait. Une association lui avait donné des vêtements, un lit pour la nuit, une soupe qui lui avait vaguement rappelé celle de son enfance, et un grand sac de supermarché, qui sert habituellement à remplir d’achats, pour remplacer son sac à dos.

Il a vécu ainsi plusieurs semaines, passé un hiver, puis un autre.

Il avait revu sa femme, lui avait demandé une petite pièce qu’elle lui avait d’ailleurs refusé, elle ne l’avait pas reconnu tant ses cheveux sales, sa barbe hirsute, et ses yeux détruits par les nuits passées dehors l’avait rendu méconnaissable.

Il faisait froid ce soir-là, plus que d’habitude, en ville la foule se pressait de magasin en magasin en ressortait avec des sacs pleins d’achats inutiles pour des cadeaux futiles, les décorations électriques jaillissaient dans toute la cité pour annoncer les prochaines fêtes de l’hiver. Il avait attendu que le marché de Noël soit sur le point de fermer pour s’y aventurer après avoir fait la manche à l’extérieur du marché toute la journée sans grand succès tant les gens étaient pressés d’acheter.

Dans le marché, il avait réussi à avoir une gaufre que la commerçante n’avait pas jugée utile de saupoudrer d’un peu de sucre glace. Il avait remercié la commerçante de sa gentillesse parce même si la gaufre n’allait pas le rassasier c’était toujours mieux que rien. Il avait eu aussi un verre de vin chaud qu’il avait tenu bien serré entre ses mains jusqu’à ce qu’il fut tiède. Puis il était parti, là où il savait que passait habituellement le Samu social.

Ce soir la camionnette n’est pas passé. Il s’est assis par terre en attendant. Il avait commencé à neiger et avait doucement souri et repensant aux batailles de boules de neige de son enfance quand il s’acharnait à martyriser ce petit prétentieux binocleux en lui mettant de la neige dans sa chemise et appuyant pour qu’il ait bien froid.

Il s’avait que ce gosse était devenu Maire de la ville, il l’avait vu une fois, l’avait interpellé en se foutant de lui mais la Police Municipale l’avait vite écarté et le Maire-binocleux avait feint de ne pas comprendre les allusions d’un forcément poivrot, qu’il savait avoir fréquenté à l’école primaire mais était bien incapable de savoir de qui il s’agissait. Il ne s’en était d’ailleurs jamais préoccupé.

Puis il s’est allongé sur le banc de ce square en regardant les phares des voitures sur l’avenue, les illuminations de Noël exubérantes et les vitrines présomptueuses des magasins. Il souriait malgré le froid en repensant au feu de cheminée de bois de hêtre, à la soupe chaude, aux boules de neige, aux misères faites à binocleux regrettant de ne pas lui en avoir fait plus.

Il a fermé les yeux. Ses lèvres sont devenus bleues, puis ses joues, aussi bleues que les yeux de sa mère à qui était adressée sa dernière pensée.