Le soir venu, après une journée
de labeur, la foule s’agglutine en une masse compacte sur le quai de la gare.
Si princière soit la cité, tout civisme de ses travailleurs perd alors son sens
lorsque le train entre dans la station ferroviaire. La horde observe et tente
de deviner avec précision à quel endroit les portes s’ouvriront. Les plus
féroces ce précipitent alors dans la direction qu’ils croient exacte, courent,
bousculent les plus modérés. Ceux qui descendent du train doivent se frayer un
chemin dans le sens évidemment inverse de ceux qui montent dans le but de se
précipiter sur une place assise. Celui qui aura la moindre compassion pour le
descendeur en le laissant passer se verra immédiatement écarter de la porte d’accès.
Il n’est pas rare que la pression soit telle, que les pieds semblent ne plus
toucher le sol. Une fois entré dans le wagon, la lutte continue jusqu’aux
places assises. La poussée ne vient alors plus de l’arrière mais du côté, la
horde devant faire un quart de tour en direction du couloir.
Lorsque manifestement plus aucun
siège n’est disponible, le sauvage s’arrête à l’endroit où il se trouve, sans
se soucier de savoir si d’autres passagers doivent encore monter dans le train.
Puis le train part, il n’est pas
toujours possible de se tenir à une main courante, souvent difficile d’ouvrir
un livre. Les sauvages alors se calment un moment en plongeant leurs yeux sur l’affichage
de leur téléphone portable.
L’été, quelques stations après la
Principauté, des passagers d’un autre univers font leur apparition. Ceux-là
rentrent de la plage, ils sont détendus, parfois encore en maillot de bain,
serviette sur l’épaule et lunettes de soleil sur le nez. Une tension muette s’installe
alors comme s’il s’agissait de deux bandes rivales.
À Nice enfin, celui qui devient
descendeur se fraye un chemin parmi ceux dont le domicile est situé plus loin.
Parfois, un contrôle des titres
de transport est opéré à la sortie de la gare. Certains sauvages s’avèrent être
également fraudeurs. L’acquittement du prix du voyage ne constituant pas nécessairement
une justification aux agissements de la horde.
Naturellement, les agents de
contrôle se font copieusement vilipendés, tout en restant impassible aux agressions
verbales dont ils font l’objet, sourds aux griefs concernant la ponctualité
ferroviaire ou la longueur des trains. Ils ne sont finalement que les poinçonneurs
des Lilas ou d’ailleurs, étrangers à toute responsabilité quant au
dysfonctionnement ponctuel des transports ferrés.
Une fois de retour dans son
logement, le sauvage redevient alors un personnage civilisé, un père
attentionné, un mari aimant. Ou pas. (Tiens, j’ai spontanément écrit que le sauvage
était un homme).
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