Nous nous connaissions si peu et
étions si différents. Elle si jeune, virevoltante, tourbillonnante, emplie
d’une énergie qui habituellement m’aurait fait rire mais j’étais ailleurs,
taciturne dans mes pensées sombres d’un espoir déçu, d’un destin amoureux
brisé. La veille, elle m’avait dit qu’elle aimait marcher, je lui ai répondu
que moi aussi, elle a aussitôt voulu organiser une randonnée, dès le lendemain.
Tout avait mal tourné, nous nous
étions perdus, l’orage a éclaté, nous avions trouvé refuge dans une vieille
cabane de berger et attendant que la pluie cesse. J’avais glissé en me
précipitant dans l’abri et avais terriblement mal à la hanche et l’épaule
gauche. Elle avait ri de ma chute, ce qui avait contribué à m’agacer.
Nous avions essoré nos vêtements
tant bien que mal, j’avais froid, elle ne se plaignait de rien, était joyeuse
malgré la présence à ses côtés d’un vieux con grincheux. Elle parlait beaucoup,
me questionnait sans attendre la réponse, ce qui m’arrangeait. Je n’écoutais
pas vraiment ce qu’elle disait mais parfois certaines phrases étaient captées
par mon cerveau qui ne voulait plus les lâcher. « Quel est l’endroit où tu
aimes te trouver le plus au Monde ». J’aurais pu lui répondre
sournoisement « ta gueule » ou « dans ton cul » mais il
aurait fallu pour cela que je prête une vague attention à ce qu’elle disait.
Il y a quelques semaines encore,
sans doute pour la choquer ou la provoquer, je lui aurais répondu que l’endroit
que j’aimais le plus au Monde était le lit d’une femme. Je lui aurais décrit la
pièce, le lit en lui-même, la couleur des draps et la femme en elle-même. Ses
courbes, ses cheveux, détaillé son épilation, ses tatouages, localisé ses
piercings s’il en était. Je lui aurais aussi donné des détails les plus crus
sur le déroulement de nos ébats.
Mais aujourd’hui, l’idée même d’évoquer
une femme m’était trop douloureuse.
Plus certainement aurais-je
répondu que j’aimais me retrouver dans un bar avec des vieux copains, ceux qui
t’aiment depuis longtemps mais ne le disent pas, ceux qui t’écoutent, qui ne te
jugent pas, avec qui tu prends une grosse cuite quand ça va mal, ceux que ta
femme déteste parce que tu picoles avec eux et qu’en plus tu parles de cul et
reluques les filles. Ceux avec qui tu ne t’engueules jamais, ou alors pas
longtemps. Ceux que j’avais appelés à deux heures du matin après ma dispute
irréversible.
Il ne pleut plus, on va pouvoir
repartir.
bar "les copains d'abord", Mulhouse - DR |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire