Il se souvenait de cette époque
ancienne et béni où son père mettait du bois dans la cheminée. La bûche faisait
quelques étincelles quand on la posait dans l’âtre, puis les flammes enrobaient
son contour, grandissaient et consommaient le demi-mètre de hêtre.
La soupe était chaude, faite de
légumes et de viandes, on y ajoutait des morceaux de pain coupés dans la miche.
Son père, finissait sa soupe en y versant en peu de vin rouge, touillait le
breuvage et buvait le tout bruyamment.
Quand il neigeait il sautait de
joie parce qu’il pourrait jouer à se bagarrer avec ces projectiles blancs que
les gosses façonnaient entre leurs mains.
Il se souvenait de cette époque,
plus récente mais encore bénie, où dans le deux pièces de son HLM il laissait
une plaque électrique allumé pour se réchauffer les mains. Il coupait les
convecteurs électriques le plus souvent possible, c’est-à-dire presque tout le
temps de manière à faire des économies.
L’usine venait de fermer, juste
après il avait neigé, il s’en souvient, c’était le lendemain, comme si le ciel
avait décidé de l’avertir que la suite serait dure, comme s’il ne le savait
pas.
Et puis sa femme est partie, avec
tout ce qu’elle possédait. Pas grand-chose, un fauteuil défoncé, un peu de
vaisselle en pyrex, d’autre en inox, du linge, le chat, et son numéro
d’inscription au chômage.
Alors, il n’avait plus assez
d’argent pour payer le loyer, il a arrêté de le payer, il a reçu des courriers,
puis des hommes sont venus prendre ce que sa femme n’avait pas emmené un jour
où il n’était pas là.
Il est reparti sans fermer la
porte à clé, de toute façon elle ne fermait plus. Il avait encore un sac à dos
à l’époque, depuis on lui a volé avec le linge sale qu’il contenait. Une
association lui avait donné des vêtements, un lit pour la nuit, une soupe qui
lui avait vaguement rappelé celle de son enfance, et un grand sac de
supermarché, qui sert habituellement à remplir d’achats, pour remplacer son sac
à dos.
Il a vécu ainsi plusieurs
semaines, passé un hiver, puis un autre.
Il avait revu sa femme, lui avait
demandé une petite pièce qu’elle lui avait d’ailleurs refusé, elle ne l’avait
pas reconnu tant ses cheveux sales, sa barbe hirsute, et ses yeux détruits par
les nuits passées dehors l’avait rendu méconnaissable.
Il faisait froid ce soir-là, plus
que d’habitude, en ville la foule se pressait de magasin en magasin en
ressortait avec des sacs pleins d’achats inutiles pour des cadeaux futiles, les
décorations électriques jaillissaient dans toute la cité pour annoncer les
prochaines fêtes de l’hiver. Il avait attendu que le marché de Noël soit sur le
point de fermer pour s’y aventurer après avoir fait la manche à l’extérieur du
marché toute la journée sans grand succès tant les gens étaient pressés
d’acheter.
Dans le marché, il avait réussi à
avoir une gaufre que la commerçante n’avait pas jugée utile de saupoudrer d’un
peu de sucre glace. Il avait remercié la commerçante de sa gentillesse parce
même si la gaufre n’allait pas le rassasier c’était toujours mieux que rien. Il
avait eu aussi un verre de vin chaud qu’il avait tenu bien serré entre ses
mains jusqu’à ce qu’il fut tiède. Puis il était parti, là où il savait que
passait habituellement le Samu social.
Ce soir la camionnette n’est pas
passé. Il s’est assis par terre en attendant. Il avait commencé à neiger et
avait doucement souri et repensant aux batailles de boules de neige de son
enfance quand il s’acharnait à martyriser ce petit prétentieux binocleux en lui
mettant de la neige dans sa chemise et appuyant pour qu’il ait bien froid.
Il s’avait que ce gosse était
devenu Maire de la ville, il l’avait vu une fois, l’avait interpellé en se
foutant de lui mais la Police Municipale l’avait vite écarté et le
Maire-binocleux avait feint de ne pas comprendre les allusions d’un forcément poivrot,
qu’il savait avoir fréquenté à l’école primaire mais était bien incapable de
savoir de qui il s’agissait. Il ne s’en était d’ailleurs jamais préoccupé.
Puis il s’est allongé sur le banc
de ce square en regardant les phares des voitures sur l’avenue, les
illuminations de Noël exubérantes et les vitrines présomptueuses des magasins.
Il souriait malgré le froid en repensant au feu de cheminée de bois de hêtre, à
la soupe chaude, aux boules de neige, aux misères faites à binocleux regrettant
de ne pas lui en avoir fait plus.
Il a fermé les yeux. Ses lèvres
sont devenus bleues, puis ses joues, aussi bleues que les yeux de sa mère à qui
était adressée sa dernière pensée.
Sur ma liste « au pays du blogs » (le magicien Ox) un auteur compositeur interprète qui s’auto-produit et sur son CD, un titre « C’était avant »… (http://youtu.be/ETVJ-F9lrek)
RépondreSupprimerBouleversant.
RépondreSupprimerBouleversant car ça représente un parcours sans doute bien ordinaire.
Terrifiante réalité...
RépondreSupprimerAmitié Antoine
@+ michelle
L'un de mes amis m'a fait observer que mon texte lui a rappeler le conte d'Andersen "La petite fille aux allumettes". Je suis touché par un tel compliment.
RépondreSupprimerPour lire le conte d'Andersen : http://feeclochette.chez.com/Andersen/allumettes.htm